DEMAIN : LA MONARCHIE
Un projet politique pour la France de demain
Ces républiques qui virent à la monarchie
Comme vous le savez, les monarchies ont tendance à disparaître au profit de républiques. Pourtant, la monarchie est un régime qui semble plus naturel pour les hommes : les petites communautés, ou tribus, ont un chef à leur tête et les pays plus grands ont tous connu une royauté. Le régime républicain, à l'origine, se trouvait plutôt dans les cités-états. Le premier grand état républicain a été Rome qui a auparavant connu la royauté. A partir de la fin du XVIIIème siècle, avec les révolutions américaine et française, les régimes républicains vont s'installer dans de nombreux pays en remplacement des monarchies. De nos jours, le monde compte plus de républiques que de monarchies. Mais peut-être n'est-ce qu'une mode qui va passer quand on se rendra compte que les monarchies ont plus d'atouts. D'ailleurs, l'Histoire nous montre que les républiques sont généralement plus fragiles et que, parfois, elles se transforment en monarchies.
1. La Première République devient le Premier Empire
2. L'histoire se répète : la Deuxième République devient le Second Empire
3. De la République florentine au Grand-Duché de Toscane
4. Le président albanais qui devint roi
6. Dictateurs de père en fils en Corée du Nord
7. Le président de la Cinquième République : un monarque républicain ?
1 . La Première République devient le Premier Empire
La Convention doit son nom à l'assemblée (la Convention nationale) qui détient le pouvoir législatif. Dans un premier temps, c'est l'assemblée qui exerce le pouvoir. Le 24 juin 1793, le texte de la Constitution de l'An I est adopté. D'après cette constitution, le pouvoir exécutif doit être exercé par un collège de 24 personnes. Mais, sous prétexte de la guerre avec les autres puissances européennes, la mise en application de cette première constitution républicaine est suspendue. Elle ne sera jamais appliquée. La réalité du pouvoir est détenu par une poignée de personnes, au sein du Comité de Salut Public et du Comité de Sûreté Générale. C'est surtout le premier qui, exerçant le pouvoir exécutif et ayant l'initiative des lois établit une véritable dictature et fait régner la Terreur. Le Comité de Salut Public est d'abord dominé par Danton, puis par Robespierre.
Jugement de SMTC Louis XVI par la Convention nationale (1793)
Après la chute de Robespierre, les comités perdent de leur importance et la Convention adopte le 22 août 1795 la Constitution de l'An III, qui entre en vigueur le 26 octobre, inaugurant une nouvelle période : le Directoire. La convention nationale est remplacée par deux chambres législatives : le Conseil des Cinq-Cents et le Conseil des Anciens. Le pouvoir exécutif est exercé par cinq directeurs. Pour éviter le risque de dérive dictatoriale, on remplace chaque année un des directeurs de façon à ce que chacun ne puisse pas rester en place plus de cinq ans. Ce régime ne va durer que quatre ans.
Après un régime d'assemblée, la république est conduite par cinq directeurs (1795-1799)
Un des directeurs, Emmanuel-Joseph Sieyès, organise un coup d'état (coup d'état du 18 brumaire) pour pouvoir changer de constitution. Pour arriver à ses fins, il obtient l'aide militaire du général Bonaparte. La nouvelle constitution, adoptée le 13 décembre 1799, instaure le Consulat. Dans ce régime, le pouvoir législatif est théoriquement détenu par trois assemblées (le Sénat conservateur, le Tribunat et le Corps législatif), tandis que le pouvoir exécutif est entre les mains de trois consuls, secondés par le Conseil d'Etat. Mais c'est le Premier Consul, à savoir Napoléon Bonaparte, qui détient la réalité du pouvoir exécutif et qui a, seul, l'initiative des lois. Les deux autres consuls ont un rôle consultatif.
Ainsi, au cours de la Première République, on voit s'affaiblir le pouvoir législatif (on passe d'une assemblée à deux chambres sous le Directoire, puis trois sous le Consulat) alors que le pouvoir exécutif se renforce et se concentre entre les mains d'un comité d'une douzaine de personnes, puis d' un directoire
Les trois consuls au Conseil d'Etat (1799)
de cinq personnes et enfin d'un consulat de trois personnes où la réalité du pouvoir appartient en fait à un seul personnage. Alors que la Révolution voulait mettre fin à la monarchie absolue de l'Ancien Régime, le Nouveau Régime s'est orienté petit à petit vers une quasi-monarchie. Napoléon ne va pas s'arrêter en si bon chemin. La constitution de l'An VIII faisait de lui un Premier Consul pour dix ans, mais le plébiscite du 2 août 1802 fait de lui un consul à vie.
Mais l'entourage du Premier Consul et les assemblées ne comptent pas se contenter du consulat à vie pour Bonaparte. S'inspirant de la république romaine qui avait pris la forme d'un empire, le sénat adopte un sénatus-consulte le 18 mai 1804 qui fait de Napoléon l'empereur des Français. Officiellement, la France reste une république, avec un empereur à sa tête : c'est une monarchie républicaine qui est née
Voici les deux premiers articles de la Constitution de l'An XII qui instaure le Premier Empire :
Article 1. - Le Gouvernement de la République est confié à un Empereur, qui prend le titre d'Empereur des Français. - La justice se rend, au nom de l'Empereur, par les officiers qu'il institue.
Article 2. - Napoléon Bonaparte, Premier consul actuel de la République, est Empereur des Français.
Napoléon Ier en costume de sacre, par Ingres
Ainsi cet empire serait une république, pas une monarchie. Oui, enfin, c'est la théorie. Ce régime présente tous les aspects d'une monarchie. Tout d'abord, le titre d'empereur des Français est héréditaire et la loi successorale ressemble fort à celle des rois de France. Voici ce que dit la constitution de l'An XII :
Article 3. - La dignité impériale est héréditaire dans la descendance directe, naturelle et légitime de Napoléon Bonaparte, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, et à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance.
Il ne manque plus à cette monarchie que le droit divin. Ce sera chose faite le 2 décembre 1804 : Napoléon se fait sacrer à Notre-Dame de Paris. Il n'est pas sacré par un simple évêque ou archevêque comme l'étaient les rois. Non, il est sacré par le pape Pie VII, lui-même.
On voit, au cours de l'empire, d'autres aspects qui dénotent un éloignement de la république. Ainsi, des titres empruntés à l'ancienne noblesse sont créés : en plus des titres de princes attribués aux membres de la famille impériale dès 1804, apparaissent les titres de duc (1806), de comte, de baron et de chevalier (1808). Il ne s'agit pas à proprement parler de noblesse mais ces titres sont cependant souvent héréditaires et leurs titulaires utilisent des armoiries. De nos jours, on parle de "noblesse d'Empire". On utilisera aussi des titres royaux pour les états soumis à l'empire : royaume d'Italie, royaume d'Espagne, royaume de Naples, royaume de Hollande, royaume de Westphalie, grand-duché de Berg.
Cet empire ne dura qu'une dizaine d'années, victime des incessantes guerres menées par Napoléon. Mais ce régime va renaître quelques décennies plus tard, avec le Second Empire.
Avant la révolution de 1789, la France connaissait une monarchie absolue de droit divin. Les articles constitutionnels de 1789 puis la constitution de 1791 dépouillent le roi Louis XVI de son pouvoir : le régime devient une monarchie constitutionnelle. Le 10 août 1792, une nouvelle insurrection conduit l'assemblée législative à suspendre le roi. Le 21 septembre 1792, la royauté est abolie : la France devient une république.
La première république naît dans un contexte de guerre et de massacres. Tout était réuni pour que ce nouveau régime soit instable. Ainsi, on distingue trois régimes successifs au cours de la première république : la Convention, le Directoire, puis le Consulat.
2 . L'histoire se répète : la Deuxième République devient le Second Empire
Dans le premier volet de cette série sur Ces républiques qui virent à la monarchie, nous avons vu comment, en France, la Première République s'est transformée en Premier Empire : celui qui détenait le pouvoir en tant que Premier Consul, Napoléon Bonaparte, est devenu empereur des Français. Cette période impériale ne dura qu'une dizaine d'années (1804-1814 plus les Cent Jours en 1815) et se termina par la défaite de l'empereur face aux puissances européennes coalisées. La France connut ensuite une période plus pacifique, la Restauration (1814-1830), qui vit le retour de la royauté légitime. Une deuxième révolution mit sur le trône un roi des Français, Louis-Philippe d'Orléans, qui usurpa la couronne jusqu'à ce qu'il soit lui-même renversé par une troisième révolution.
Cette fois, c'est une république qui est proclamée le 24 février 1848. Un gouvernement provisoire est constitué. Les élections législatives d'avril 1848 sont les premières depuis 1792 à se faire au suffrage universel masculin. L'Assemblée Nationale Constituante ainsi élue élabore une nouvelle constitution, votée le 4 novembre. Cette constitution prévoit que le chef du pouvoir exécutif sera un président (c'est la première fois en France) :
Article 43 : Le peuple français délègue le Pouvoir exécutif à un citoyen qui reçoit le titre de président de la République.
Article 45 : Le président de la République est élu pour quatre ans, et n'est rééligible qu'après un intervalle de quatre années. Ne peuvent, non plus, être élus après lui, dans le même intervalle, ni le vice-président, ni aucun des parents ou alliés du président jusqu'au sixième degré inclusivement.
Les premières élections présidentielles en France ont lieu les 10 et 11 décembre 1848. Le prince Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon Ier, est élu à 74,2 % des voix. La constitution prévoyait que le pouvoir législatif appartiendrait à un parlement à chambre unique : l'assemblée nationale législative. Celle-ci est élue les 13 et 14 mai 1849. La Parti de l'Ordre y est largement majoritaire ; il est composé principalement d'orléanistes, de légitimistes et de bonapartistes. C'est donc une assemblée majoritairement monarchiste.
Louis-Napoléon souhaite modifier l'article 45 de la constitution qui limite le mandat présidentiel à quatre ans pour le porter à dix ans. Mais il n'obtient pas l'assentiment de l'assemblée. S'il souhaite se maintenir au pouvoir, il doit avoir recours à des moyens non constitutionnels. C'est ainsi qu'a lieu le coup d'état du 2 décembre 1851 : l'assemblée est dissoute et un certain de nombre de députés sont arrêtés. Les 20 et 21 décembre, un plébiscite est organisé pour ratifier le coup d'état : le peuple approuve le prince-président à une large majorité. Une nouvelle constitution est promulguée le 14 janvier 1852. Elle donne à Louis-Napoléon Bonaparte la présidence pour une durée de dix ans. En outre, le pouvoir législatif est exercé par le président et un parlement bicaméral composé du Sénat et du Corps législatif.
Louis-Napoléon Bonaparte, premier président de la république française
Timbres de la Deuxième République (à gauche) et du Second Empire (à droite)
Petit à petit, on voit la deuxième république s'orienter vers un régime impérial : l'effigie du prince-président apparaît sur les pièces de monnaie, les timbres-poste,... Les aigles impériales sont de nouveau utilisées, notamment sur les drapeaux. Et, enfin, un sénatus-consulte du 7 novembre 1852 modifie la constitution en rétablissant la dignité impériale. Les Français le ratifient à une large majorité par plébiscite les 21 et 22 novembre. L'empire est officiellement rétabli le 2 décembre 1852. Le prince Louis-Napoléon devient l'empereur Napoléon III.
Décret impérial du 2 décembre 1852
qui promulgue et déclare Loi de l'Etat le sénatus-consulte du 7 novembre 1852, ratifié par le plébiscite des 21 et 22 novembre.
Vu le sénatus-consulte, en date du 7 novembre 1852, qui soumet au peuple le plébiscite dont la teneur suit :
« Le peuple veut le rétablissement de la dignité impériale dans la personne de Louis Napoléon Bonaparte, avec hérédité dans sa descendance directe, légitime ou adoptive, et lui donne le droit de régler l'ordre de succession au trône dans la famille Bonaparte, ainsi qu'il est prévu par le sénatus-consulte du 7 novembre 1852. »
Vu la déclaration du Corps législatif qui constate :
Que les opérations du vote ont été partout librement et régulièrement accomplies ;
Que le recensement général des suffrages émis sur le projet de plébiscite a donné sept millions huit cent vingt-quatre mille cent quatre-vingt-neuf (7 824 189) bulletins portant le mot oui ;
Deux cent cinquante-trois mille cent quarante-cinq (253 145) bulletins portant le mot non ;
Soixante-trois mille trois cent vingt-six (63 326) bulletins nuls ;
- Avons décrété et décrétons ce qui suit :
Article 1. - Le sénatus-consulte du 7 novembre 1852, ratifié par le plébiscite des 21 et 22 novembre, est promulgué et devient loi de l'Etat.
Article 2. - Louis Napoléon Bonaparte est Empereur des Français sous le nom de Napoléon III.
Napoléon III, représenté avec le manteau de sacre qu'il n'eut pas l'occasion de porter
Contrairement à Napoléon Ier, Napoléon III ne sera pas sacré. Une cérémonie religieuse à Notre Dame de Paris remplace le sacre. En effet, l'empereur a demandé à Pie IX de le sacrer mais le pape a posé des conditions que Napoléon III ne pouvait accepter.
Moins belliqueux que son oncle, Napoléon III va cependant être entraîné malgré lui dans une guerre contre la Prusse (1870) qui se solde par une défaite qui précipite la chute du Second Empire : le 4 septembre 1870, la république est proclamée.
3 . De la République florentine au Grand-Duché de Toscane
Les première et deuxième républiques françaises ne sont pas les premières à avoir évolué vers la monarchie. Au XVIème siècle, la république florentine a aussi connu cette reconversion.
Au cours du Moyen-Age, au sein de la partie italienne du Saint-Empire, éclosent des républiques centrées sur des cités n'ayant pas de seigneurs héréditaires. Ne nous trompons pas, ces républiques n'ont rien à voir avec les républiques actuelles : ce sont des républiques aristocratiques. Ces états sont de petite taille mais certains deviennent des puissances pouvant rivaliser avec les royaumes contemporains. C'est le cas de la république de Venise.
La république qui nous intéresse ici est la république florentine dont la capitale, Florence, est actuellement une des plus grandes villes d'Italie. Cette république est née vers 1115. Depuis le IXème siècle, la Toscane était un marquisat, mais après la mort de Mathilde de Toscane (1115), qui était un personnage considérable, les cités toscanes gagnent en autonomie et s'érigent en communes, embryons de républiques dans le giron, toutefois, du Saint-Empire.
L'organisation de la république florentine varie au cours des siècles. L'autorité est d'abord détenue par des consuls, assistés par un conseil. Puis, en 1207, les consuls sont remplacés par un podestat élu. Le territoire de cet état s'agrandit par l'annexion des fiefs environnant et des petites républiques. Florence est une république moins aristocratique que celle de Venise. Les bourgeois issus du commerce, des métiers manufacturiers et de la banque ont une part importante au pouvoir. A partir de 1282, le gouvernement de Florence est assuré par la Seigneurie composée de plusieurs membres appelés prieurs, et d'un gonfalonnier. Ceux-ci étaient issus des principales guildes de la ville. Au gré des luttes pour le pouvoir, certaines familles s'imposent. Ainsi, les Albizzi dominent de 1382 à 1434 au moyen d'un gouvernement oligarchique. Ils sont supplantés par les Médicis, plus proches du peuple, qui gouvernent la république de 1434 à 1494. De 1494 à 1498, le moine Jérôme Savonarole installe une dictature théocratique. Les Médicis sont de retour aux affaires de 1512 à 1527, puis de nouveau chassés du pouvoir.
Alexandre de Médicis (1510-1537)
Cette fleur de lys rouge stylisée, appelée fleur de lys florencée, était l'emblème de la république florentine.
Soutenu par Charles Quint, Alexandre de Médicis prend le pouvoir en 1530. En 1532, il reçoit de l'empereur le titre de Duc de Florence. Florence est encore officiellement une république, avec un duc à sa tête, assisté d'un Conseil des Deux-Cents et d'un Sénat. A sa mort en 1537, c'est son lointain cousin Côme de Médicis qui lui succède comme duc de Florence. La république florentine qui ressemblait fort à une monarchie en devient officiellement une quand le duc Côme est créé Grand-Duc de Toscane par le pape Pie V, en 1569. Le grand-duché se maintiendra de 1569 à 1801 puis de 1815 à 1859 (dynastie des Médicis de 1569 à 1737 puis dynastie des Habsbourg-Lorraine de 1737 à 1801 et de 1815 à 1859).
Côme Ier de Médicis (1519-1574)
4 . Le président albanais qui devint roi
L'Albanie, petit état balkanique, a alterné, au cours de son histoire, les périodes d'indépendance et les périodes de domination étrangère (avec parfois une certaine autonomie). Ainsi, de la fin du XVème siècle au début du XXème siècle, le pays fut sous le joug de l'Empire Ottoman. C'est à cette époque que de nombreux Albanais se convertirent à l'islam. A la faveur d'une guerre entreprise par la Ligue Balkanique (Grèce, Serbie, Monténégro et Bulgarie) contre l'Empire Ottoman, l'Albanie, qui bénéficie du soutien de l'Autriche-Hongrie, proclame son indépendance le 28 novembre 1912. Après d'âpres négociations, les frontières du pays sont fixées en mai 1913, puis en 1914 et en 1921 à la suite de conflits frontaliers avec les pays voisins.
Le 21 février 1914, sous l'impulsion des grandes puissances européennes, le gouvernement provisoire d'Albanie prend la forme d'une monarchie avec, comme Prince souverain, un allemand : le prince Guillaume de Wied, neveu de la reine de Roumanie, qui va régner sous le nom de Vilhelm Vidi. Mais, faisant face à une guerre civile, le prince doit quitter le pays le 3 septembre 1914, sans abdiquer.
L'Albanie est ensuite dirigée (1914-1916) par un premier ministre, Essad Pacha Toptani, qui établit un gouvernement dictatorial. Puis le pays passe sous le contrôle de trois grandes puissances engagées dans la Première Guerre Mondiale, l'Autriche-Hongrie, l'Italie et la France, qui y établissent des protectorats. La défaite austro-hongroise en 1918 et le départ des Français permet à l'Italie de contrôler toute l'Albanie à partir de la fin 1918. Si l'indépendance albanaise est reconnue internationalement en 1919, il faut attendre l'été 1920 pour voir la fin du protectorat italien. Dès le 30 janvier 1920, un Haut Conseil de Régence (officiellement, le prince Vidi est toujours prince régnant d'Albanie) se met en place, jusqu'au 31 janvier 1925. Les premiers ministres se succèdent ainsi que les insurrections.
Durant cette période, un homme va réussir, non sans difficultés, à tirer son épingle du jeu : il s'agit d'Ahmet Zogu, noble albanais musulman, gouverneur héréditaire de Mati. Né en 1895, il a été partisan du prince Vidi, puis, pendant la Première Guerre Mondiale, il a combattu aux côtés des Austro-Hongrois avec le grade de colonel. Mais, jugé trop encombrant, il a été retenu en Autriche jusqu'à la fin de la guerre. Il rentre en Albanie en 1919 et se lance dans la politique. En 1920, il empêche son propre oncle maternel, Essad Pacha Toptani (ancien dictateur de 1914 à 1916), de prendre le pouvoir par la force, ce qui lui vaut un poste de ministre de l'Intérieur. Promu général, il devient commandant en chel de l'armée (1921-1922) puis est premier ministre le 26 décembre 1922. Il mène une politique autoritaire et répressive. Il est contraint de démissionner en mars 1924 et est remplacé par Shefqet Verlaci. Celui-ci est renversé par une révolution en juin suivant. Lui succèdent ensuite Ilias Bey Vrioni, puis Fan Noli (un évêque orthodoxe) et de nouveau Ilias Bey Vrioni.
Enfin, le 23 décembre 1924, Ahmet Zogu reprend le pouvoir par un coup d'état. Pour mettre fin à cette monarchie qui n'a plus de monarque depuis 1914, il proclame la république dont il devient le président (31 janvier 1925). Ahmet Zogu se lance dans une politique de modernisation du pays mais instaure un régime dictatorial (suppression des partis, arrestations d'opposants, ...) et se rapproche de l'Italie de Mussolini. La république ne dure pas : le 1er septembre 1928, le président se proclame Roi des Albanais sous le nom de Zog Ier. Son règne prend fin le 8 avril 1939 quand le roi part en exil, son pays étant envahi par Mussolini. Zog se réfugiera dans divers pays avant de finir sa vie en France où il meurt le 9 avril 1961. Son fils Léka Ier (de 1961 à 2011) puis son petit-fils Leka II (depuis 2011) lui ont succédé comme prétendants au trône d'Albanie.
Armoiries du Royaume des Albanais
Ahmet Zogu, alias Zog Ier, président de la république albanaise (1925-1928), puis roi des Albanais (1928-1939)
5. Le Napoléon centrafricain
Jean Bedel Bokassa, Président de la Républicaine Centrafricaine (1965-1976)
Le premier président de la république centrafricaine fut David Dacko, chef du MESAN (Mouvement pour l'Evolution Sociale de l'Afrique Noire). Celui-ci s'attache les services de son cousin Jean Bedel Bokassa pour réorganiser l'armée. Il le nomme chef d'état-major en 1964. Mais le régime autoritaire et le rapprochement opéré par le président avec la Chine communiste poussent les Français à lui retirer leur soutien. Le 31 décembre 1965, par un coup d'état, Jean Bedel Bokassa renverse son cousin et devient le deuxième président de la République Centrafricaine. Comme cela arrive souvent, le pouvoir monte à la tête du nouveau président. Il instaure un régime dictatorial, se proclame président à vie en 1972, et maréchal en 1974. Pour obtenir l'aide de la Libye, il se fait musulman en 1976.
La mégalomanie de Jean Bedel Bokassa culmine lorsqu'il décide, à l'occasion du congrès du MESAN le 4 décembre 1976, d'adopter une nouvelle constitution instaurant une monarchie : l'Empire centrafricain. Il devient l'empereur Bokassa Ier et redevient catholique. Il justifie ce changement de régime par la volonté de renforcer le respect de la communauté internationale en se distinguant des autres pays africains issus de la décolonisation : c'est en effet le seul à avoir pris la forme d'un empire. Pour parfaire son oeuvre inspirée de Napoléon Ier, il se fait couronner l'année suivante, le 4 décembre 1977. L'empereur y revêt une
Bokassa Ier, Empereur de Centrafrique (1976-1979)
réplique du costume du sacre de Napoléon, au cours d'une cérémonie (trop) fastueuse.
Rapidement, l'empereur, qui était soutenu par la France, finit par déplaire à Valéry Giscard-d'Estaing. Le 20 septembre 1979, alors que Bokassa est en visite en Libye où il cherche, de nouveau, le soutien de Mouammar Khadafi, l'armée française mène une opération en Centrafrique qui permet à David Dacko de reprendre le pouvoir. Celui-ci annonce l'abolition de l'Empire et redevient président de la république.
L'ex-empereur en exil est condamné à mort par contumace pour le meurtre de plusieurs opposants politiques. Jusqu'en 1986, il reste exilé, notamment en Côte d'Ivoire, puis en France. Revenu en Centrafrique, il est jugé pour différents chefs d'accusation. Parmi ceux-ci, les crimes de cannibalisme, dont il est innocenté, ont sûrement été inventés par les services secrets français. Il est de nouveau condamné à mort mais sa peine est commuée en emprisonnement par le président Kolingba. Ce dernier finit par l'amnistier en 1993. C'est donc libre, que l'ex-empereur Bokassa décède en 1996. Il est inhumé dans son ancien palais de Berengo.
L'empire n'aura été qu'une courte parenthèse (moins de trois ans) dans l'histoire de la Centrafrique. Mais peut-être que cet empire renaîtra un jour, car Bokassa Ier a eu 36 enfants...
L'Afrique aussi a connu un empire issu d'une république, fondé par le président Bokassa qui s'est inspiré de Napoléon.
Jean Bedel (= Jean Baptiste de La Salle) Bokassa est né en 1921 dans la colonie française d'Oubangui-Chari. Son père, Mindogon Mgboundoulou, chef de village, a été exécuté en 1927 par l'administration coloniale pour s'être rebellé. Sa mère, Marie Yokowo, s'est suicidée peu après. Orphelin à six ans, il est élevé par son grand-père. A 18 ans, il s'engage dans l'armée coloniale. Il mène une brillante carrière militaire, participant au débarquement de Provence (1944) et à la bataille du Rhin. Il combattit aussi lors de la guerre d'Indochine et la guerre d'Algérie. Il reçut la Légion d'Honneur et la Croix de Guerre. Il termine sa carrière dans l'armée française avec le grade de capitaine. Après l'indépendance de la Centrafrique (1960), il poursuit sa carrière militaire dans l'armée de la nouvelle république.
6 . Dictateurs de père en fils en Corée du Nord
La Corée est un pays très ancien qui a connu des périodes de divisions (en plusieurs royaumes), d'unification et de vassalisation (vis-à-vis de la Chine ou du Japon). La dernière dynastie royale (dynastie Joseon, appelée aussi dynastie Yi) a régné de 1392 à 1910. Le royaume a pris le statut d'empire en 1897. La guerre sino-japonaise qui aboutit au traité de Shimonoseki (1895) place la Corée, jusqu'alors vassale de la Chine, sous suzeraineté japonaise. Le pays est finalement annexé par le Japon en 1910.
La défaite du Japon en 1945, à l'issue de la Seconde Guerre Mondiale, place la Corée sous l'administration provisoire des deux grands vainqueurs : au nord, l'Union Soviétique, et au sud, les Etats-Unis. Les négociations pour aboutir à l'unification du pays échouent et deux républiques voient le jour en 1948 : au sud, la république de Corée (régime capitaliste), et au nord, la république populaire démocratique de Corée (régime socialiste).
Le premier dirigeant de la Corée du Nord est Kim Il Sung. Né à Pyongyang en 1912 dans une famille protestante, il est le fils de Kim Hyong-jik et de son épouse Kang Pan-sok, tous deux militants indépendantistes anti-japonais. Il combat les Japonais durant la guerre et est contraint de s'exiler en URSS en 1941. Il y intègre l'Armée rouge. De retour en Corée du Nord en 1945, il est installé par les soviétiques à la tête du Comité provisoire du Peuple. Il devient en 1948 le premier dirigeant suprême de la république populaire démocratique (!) de Corée et instaure, dès 1949, un régime totalitaire de type stalinien. Le culte de sa personnalité vient couronner ce régime liberticide où ceux qui ne respectent pas ses règles sont exécutés ou internés dans des camps.
Ce culte de la personnalité dont Kim Il Sung était l'objet explique qu'à sa mort (8 juillet 1994) son fils Kim Jong Il lui succède sans difficulté. Ce dernier était un successeur désigné officieusement depuis 20 ans. Il a même été créé maréchal en 1992.
Quand Kim Jong Il décède en décembre 2011, son fils Kim Jong Un lui succède. Celui-ci est l'actuel dirigeant suprême de la République populaire démocratique de Corée. Ainsi, trois générations de Kim se sont succédées à la tête de la Corée du Nord depuis 1948. C'est pourquoi on peut parler de dynastie. Le nom officiel de cette dynastie communiste est la lignée du mont Paektu. Si la Corée du Nord est loin d'être une monarchie au sens habituel du terme, elle a néanmoins un régime à la tête duquel se succèdent des dirigeants héréditaires. C'est plutôt inhabituel dans un état communiste !
Une dynastie de dictateurs communistes nord-coréens, de gauche à droite : Kim Il Sung, son fils Kim Jong Il et son petit-fils Kim Jong Un
7 . Le président de la Cinquième République : un monarque républicain ?
Si, en France, les première et deuxième républiques ont conduit à des empires, les troisième et quatrième républiques se sont dotées de constitutions qui évitaient la concentration de pouvoirs entre les mains d'un seul homme. En revanche, avec la cinquième république (1958), voulue par le Général de Gaulle, on revient à un régime présidentiel fort, à tel point que le président de la république est parfois qualifié de "monarque républicain".
Même si la révision constitutionnelle de 2008 a encadré et limité certains de ses pouvoirs, le président de la cinquième république reste plus puissant dans son pays que ne l'est le président des Etats-Unis. En effet, en France, le pouvoir est centralisé alors que les Etats-Unis sont divisés en états avec leurs propres institutions. Par ailleurs, le Congrès américain est plus puissant que le Parlement français, face à son président.
Ce que dit la Constitution de la Vème République
Voyons quelques articles de la Constitution de la Cinquième République qui illustrent la puissance du président.
r L'article 10 montre que le président peut donner son avis sur les lois votées par les assemblées, pouvant leur demander de réexaminer les textes : "Le Président de la République promulgue les lois dans les quinze jours qui suivent la transmission au Gouvernement de la loi définitivement adoptée. Il peut, avant l'expiration de ce délai, demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles. Cette nouvelle délibération ne peut être refusée."
r Par l'article 11, le président est le seul à pouvoir organiser un référendum : "Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux Assemblées, publiées au Journal Officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions. (...) Lorsque le référendum a conclu à l'adoption du projet ou de la proposition de loi, le Président de la République promulgue la loi dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats de la consultation."
r L'article 12 prévoit que le président peut dissoudre l'Assemblée Nationale : "Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale. Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution. L'Assemblée nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection. Si cette réunion a lieu en dehors de la période prévue pour la session ordinaire, une session est ouverte de droit pour une durée de quinze jours. Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l'année qui suit ces élections."
r Le président promulgue les lois (article 10) et signe les décrets et ordonnances (article 13). Il a aussi un rôle sur le plan international : "Le Président de la République négocie et ratifie les traités. Il est informé de toute négociation tendant à la conclusion d'un accord international non soumis à ratification." (article 52) Il est le chef des armées : "Le Président de la République est le chef des armées. Il préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale." (article 15)
Charles de Gaulle
Premier Président de la Cinquième République (1959-1969)
r L'article 16 est celui qui exprime le mieux la puissance du chef de l'état : "Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel. Il en informe la nation par un message. Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet. Le Parlement se réunit de plein droit. L'Assemblée nationale ne peut être dissoute pendant l'exercice des pouvoirs exceptionnels. Après trente jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d'examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée."
r Enfin, l'article 68 montre qu'il n'est pas aisé de destituer le président : " Le Président de la République ne peut être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour. La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l'autre qui se prononce dans les quinze jours. La Haute Cour est présidée par le président de l'Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d'un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d'effet immédiat. Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des deux tiers des membres composant l'assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution. Une loi organique fixe les conditions d'application du présent article."
Le Président et la conduite de la politique du pays
Il n'appartient pas au président de définir la politique du pays mais c'est le rôle du Premier Ministre : "Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation.(...)" (article 20) Le rôle théorique du président est d'arbitrer : "Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État. Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités." (article 5)
Cependant, on a toujours observé, sous la Cinquième République, que le président intervenait dans la conduite des affaires. D'ailleurs, c'est lui qui nomme le chef du gouvernement (et les ministres) : "Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions." (article 8)
Mais le président ne se contente pas de nommer le Premier Ministre : il le choisit sans obligation de demander un avis quelconque. En général, le Premier Ministre est nommé parmi les vainqueurs des élections législatives, mais ce n'est pas une obligation (ce n'est pas inscrit dans la Constitution) : ainsi, en 2024, le président Emmanuel Macron, après les élections législatives consécutives à la dissolution de l'Assemblée Nationale, a nommé à la tête du gouvernement Michel Barnier, qui n'appartient à aucune des formations politiques ayant obtenu le plus de sièges. Voilà une attitude tout à fait monarchique !
Emmanuel Macron
Président de la République française depuis 2017
D'ailleurs, alors qu'il était ministre de François Hollande, Emmanuel Macron avait déclaré :
"La démocratie comporte toujours une forme d'incomplétude, car elle ne se suffit pas à elle-même. Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n'a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n'est plus là ! On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d'y placer d'autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l'espace. On le voit bien avec l'interrogation permanente sur la figure présidentielle, qui vaut depuis le départ du général de Gaulle. Après lui, la normalisation de la figure présidentielle a réinstallé un siège vide au cœur de la vie politique. Pourtant, ce qu'on attend du président de la République, c'est qu'il occupe cette fonction. Tout s'est construit sur ce malentendu."
(interview à Le 1 hebdo, 8 juillet 2015)
On aurait pu penser que Monsieur Macron aurait voulu restaurer la monarchie, mais, en fait, il proposait aux Français d'être lui-même un nouveau monarque.
Conclusion : des "monarchies" incomplètes
Ces exemples de républiques qui se sont transformées en monarchies ou qui ressemblent à des monarchies ont des défauts qui les empêchent de pouvoir être mises sur le même plan que les vraies monarchies.
Tout d'abord, il leur manque la légitimité historique que possèdent les lignées descendant des fondateurs de leurs nations et la longévité de ces monarchies : le roi Zog d'Albanie est le seul de sa famille à avoir régné, de même que Bokassa en Centrafrique, et l'Empire français n'a eu que deux empereurs. On peut relever toutefois une exception concernant le Grand-Duché de Toscane : les Médicis étaient une famille ayant eu une grande importance sous la République de Florence, et ce, sur plusieurs générations.
Mais que dire des dictateurs nord-coréens dont la famille dirige le pays depuis trois générations ? C'est là qu'il convient de souligner le plus grand défaut de toutes ces pseudo-monarchies : la légitimité historique et la durée ne suffisent pas, il leur manque le souci du bien du peuple et la reconnaissance que tout pouvoir vient de Dieu. Il manque à tous ces régimes le caractère religieux que possèdent les monarchies traditionnelles.
page créée le 4/05/2021 - dernière mise à jour le 23/10/2024